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Par Valérie Van Oost
2 mai · 5 mn à lire
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Un fait divers pour deux fictions

Au programme : quand une affaire criminelle inspire deux héroïnes de fiction…

Bonjour,

Bienvenue dans une édition où imaginaire et réalité s’entremêlent. C’est l’histoire d’une affaire criminelle qui a inspiré deux fictions complètement différentes. Un film et un roman qui sortent à quelques semaines d’intervalle. Leur sortie percute l’actualité : le procès de l’affaire s’ouvre aux assises le 6 mai. Conversation autour de la création de deux héroïnes de fiction avec un lien de parenté.

LA CONVERSATION

Un fait divers, deux fictions 

L’imagination de Stéphane Demoustier, comme la mienne, s’est emballée à la lecture d’un article du Monde : En Corse, la double vie de Cathy la « matonne », signé Ariane Chemin et Antoine Albertini. Deux fictions totalement différentes en sont nées. Hasard du calendrier, le film de Stéphane, Borgo, est sorti en salle le 17 avril et mon roman, Un ciel bleu comme une chaîne sort en librairie. J’ai eu envie d’échanger sur le processus créatif qui a embarqué chacun de nous loin des mêmes lignes de départ.

Nous avons échafaudé des fictions très éloignées l’une de l’autre à partir du portrait de cette surveillante de la prison de Borgo, en Corse, fascinée par l’univers du banditisme et par la série Mafiosa, et aujourd’hui accusée de complicité dans un double homicide. 

Je me suis attaché à m’éloigner le plus possible du fait divers, à l’oublier même. Mon rapport à Cathy Sénéchal et à l’affaire s’arrête à la lecture de l’article d’Ariane Chemin. En m’appropriant cette histoire et ce contexte, la machine à fiction s’est mise en route. J’essaie de les comprendre, mais pas en enquêtant sur Cathy Sénéchal. Je me suis demandé, à la lecture de cet article, et c’est ce que j’ai voulu raconter, comment, en quelques mois, on peut passer d’une vie ordinaire à complice du grand banditisme. L’article m’a servi d’étincelle, il a créé un désir de fiction avec, en toute modestie, deux ambitions : raconter le monde dans lequel on vit et sonder l’espèce humaine. C’est la raison pour laquelle, je ramène les choses à moi, je me demande comment j’aurais réagi, sans jamais regarder les personnages de haut ou de loin.

Vous aviez déjà envie de travailler sur la Corse qui est au cœur de votre film. Moi, je ne le souhaitais pas, parce que c’est un sujet en soi et seul le personnage m’intéressait. J’ai d’ailleurs changé le décor en plaçant l’action dans la région d’Aix-en-Provence et à la prison de Luynes. De votre côté, j’ai l’impression que l’héroïne du fait divers vous a donné un moyen d’infiltrer la Corse.

J’avais depuis longtemps l’envie de faire un film en Corse, mais il fallait que je trouve l’histoire qui s’y prête. C’est vrai qu’elle est mon cheval de Troie. Elle est continentale, elle débarque en Corse. Moi, je débarque avec elle sur un territoire auquel je ne comprends rien. Le fait qu’elle n’en comprenne pas la culture, la langue, les us et coutumes est intéressant. Cela explique qu’elle soit déphasée, qu’elle puisse parfois se tromper et être dans un certain flou. C’est de cela que j’ai voulu jouer. L’histoire d’une étrangère qui arrive dans un pays qui n’est pas le sien et essaie de trouver sa place. En arrivant dans un territoire avec une culture et un caractère aussi fort que la Corse, ce sentiment d’être étrangère est encore plus fort [Melissa, l’héroïne de Borgo, est Française d’origine maghrébine]. 

La prison de Borgo est dans votre film un personnage à part entière. Un personnage qui d’ailleurs avale Melissa.

La Corse a un régime spécial et cette prison bénéficie d’un régime particulier dans l’univers carcéral français. C’est un personnage en soi parce que c’est un lieu où on est cloitré, de la même manière que, sur une île, on est enfermé. Paradoxalement, cette prison, dans le film, est l’endroit où elle va, à un moment, se sentir le mieux. Je n’ai pas enquêté sur le fait divers, en revanche, j’ai recueilli des témoignages sur les phénomènes de manipulation et la manière dont fonctionne cette prison qui est passionnante avec son régime ouvert. Cela a donné une matière hyper intéressante.

La notion d’enfermement est un point commun de nos fictions. Il y a l’univers carcéral bien sûr, mais nos héroïnes se sentent recluses dans une situation d’étrangère, dans un milieu social, dans les affaires dans lesquelles elles sont empêtrées, à la place qui leur est assignée, à l’étroit dans leur couple…

Melissa est aussi enfermée parce qu’elle est sous emprise, dans un rapport de domination. Cela m’intéressait de raconter l’histoire de l’emprise d’une femme dans un monde d’hommes. 

En même temps, Melissa dans votre film, ou Kathy dans mon roman, sont des surveillantes de prison, des femmes fortes. 

Melissa a du caractère, elle arrive à tenir les détenus en respect. Elle est aussi vulnérable, parce qu’elle est une femme dans un milieu d’hommes, parce que son couple ne va pas bien et leurs projets sont fragiles. Parce qu’on est tous vulnérables quand on débarque dans un univers qu’on ne connaît pas, très viriliste ici, avec une autre langue, quand on vit dans des conditions hyper modestes ou quand on a une profession déconsidérée. Elle est un mélange de vulnérabilité et de grande force. Elle porte le projet familial, professionnel, elle fait face aux détenus avec compétence. C’est cette complexité-là qui m’intéressait.

Le glissement et la complexité du personnage m’ont fascinée également. J’ai su, en mettant de côté cet article en 2019, que j’en ferai quelque chose. Et vous ?

Pascal-Pierre Garbarini m’avait conseillé sa lecture lors d’un échange [avocat pénaliste corse qui jouait dans son précédent film, La fille au bracelet, et a été consultant sur Borgo]. Cet article est une promesse de film. Il charrie plein d’éléments qui rejoignent le fantasme –celui de la Corse, du grand banditisme, des références à des séries télé – qui se mêlent au destin d’une femme. Ce n‘est pas un hasard si vous vous êtes arrêtée dessus et moi aussi.

Le fil que j’ai tiré de mon côté, à partir de cet article, c’est le rapport à la fiction de Cathy Sénéchal, qui est fan de Mafiosa et de MacGyver. J’ai été interpelée par la fiction qui percute la réalité avec cette phrase recueillie par un témoin lors du double assassinat de Bastia « C’est rien, c’est pour un film ». Cette citation est dans l’article d’Ariane Chemin, vous l‘avez reprise dans votre film et moi dans mon roman !

Je n’ai pas du tout exploré cet aspect. Les fantasmes cinématographiques sont, de fait, convoqués par le film. Je n’ai pas besoin que le personnage porte ça. Par ailleurs, je voulais comprendre ses raisons et la fascination pour les séries télé m’est trop étrangère. Mafiosa ça ne me parle pas. 

 Une même question se pose pour nos fictions. Celle du genre cinématographique ou littéraire. Votre film n’est pas complètement un polar. Pour ma part, l’histoire se déroule sur 48 heures de garde à vue imaginaires, mais l’affaire policière est un prétexte pour explorer des problématiques sociales et la complexité de deux femmes, Kathy et son avocate commis d’office. Alors, Borgo est un polar ou pas ?

Ce qui m’amuse c’est d’utiliser les codes d’un genre et de les détourner. Je me sers de tous les codes du polar, que j’adore, mais c’est aussi un film social. L’enquête n’avance pas, alors que dans un polar elle avance. Les deux policiers reviennent régulièrement et je tenais à ces jalons. Dès l’écriture, je m’étais dit qu’il y aurait Melissa et, en parallèle, l’enquête policière. C’est un polar qui ne ressemble pas à un polar et c’est un film social qui ne ressemble pas à un film social.

C’est difficile au cinéma de ne pas être dans la case attendue ? Pour les livres c’est compliqué, il faut être classé dans un rayon défini de la librairie.

Au cinéma, on a ce grand truc, les films d’auteur. Il va être mis dans cette case. Et peut-être dans une case « film d’auteur pas chiant » ! Et pourquoi pas chiant, parce que c’est un polar ! On ne sait jamais ce qui va se passer, est-ce que les gens vont être déçus parce que ce n’est pas un polar, bref… Avec mon précédent film, il y avait déjà un peu de ça : un film d’auteur qui était aussi un film de procès, mais sans l’être vraiment. Oui, les cases existent, mais le métier du distributeur est de faire entrer les gens dans la salle et, après, si le film est bien, c’est censé prendre !


Stéphane Demoustier en quelques mots…

Après plusieurs courts métrages, il réalise son premier long métrage Terre battue en 2014. La fille au bracelet reçoit, en 2021, le César de la meilleure adaptation. Il réalise également des séries pour OCS et Canal Plus. Borgo est en salle depuis le 17 avril avec Hafsia Herzi dans le rôle de Melissa.

Borgo, le synopsis et la bande-annonce

Melissa, 32 ans, surveillante pénitentiaire, s’installe en Corse avec ses deux jeunes enfants et son mari. L’occasion d’un nouveau départ. Elle intègre les équipes d’un centre pénitentiaire pas tout à fait comme les autres. Ici, on dit que ce sont les prisonniers qui surveillent les gardiens. 

L’intégration de Melissa est facilitée par Saveriu, un jeune détenu qui semble influent et la place sous sa protection. Mais une fois libéré, Saveriu reprend contact avec Melissa. Il a un service à lui demander... Une mécanique pernicieuse se met en marche. 

Un ciel bleu comme une chaîne, le pitch et la couverture

Kathy est aussi fascinée par les séries télé que par les caïds. Elle a quitté Bondy, avec mari et enfants, pour Vitrolles, une carrière de surveillante de prison et la mer.
Placée en garde à vue, sa trajectoire percute celle de Laure, une avocate, enferrée dans une vie bourgeoise dont elle a imaginé le scénario.
Ces 48 h vont leur permettre de révéler leurs mensonges, leurs manques, leurs désirs et une ambition commune : cesser de jouer un rôle auquel elles ne croient plus. Mais peut-on s’évader d’une histoire construite sur des illusions ?

Editions La TraceEditions La Trace

UN DERNIER MOT… OU PLUTÔT DEUX

On prend un verre ?

J’ai le plaisir de vous inviter à la soirée de lancement d’« Un ciel bleu comme une chaîne » pour une rencontre autour d’un verre le 14 mai à la librairie Les Libres Champs à 19h, 18, rue Le Verrier à Paris-6e.

Vous ne pouvez pas venir ? En mai, retrouvons-nous où il vous plait (ou presque) :

  • samedi 25 mai à la librairie Le Blason à Aix-en-Provence

  • du 31 au 2 juin aux rencontres des auteurs francophones à Saint-Paul-les-Dax

D’autres dates à venir pour mon « World Tour », on me suit à la trace sur Instagram

Halte à l’autopromo !

J’ai beaucoup parlé de moi dans cette newsletter. Promis le mois prochain, je reprends une activité normale !

C’est cadeau…

Le monde et son mystère ne se refait jamais, il n’est pas un modèle qu’il suffit de copier, René Magritte


Prochain rendez-vous le 4 juin !

En attendant, vous pouvez m’écrire et me retrouver sur LinkedIn, Instagram et sur mon site.