DéFormater !

La newsletter qui explore les formes de narration. Je n’aime pas les textes formatés par les algorithmes. Je converse ici avec les vraies gens qui racontent des histoires. Avec l'Intelligence humaine.

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Par Valérie Van Oost
6 févr. · 6 mn à lire
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La littérature feel-good a-t-elle un s*xe ?

Au programme : une littérature qui a mauvais genre (dans tous les sens du terme), un scrolling à Gaza et des moments pour castagner avec les mots.

Bonjour,

Bienvenue ! Ce mois-ci, j’avais envie de lancer un débat sur la question des formatages littéraires à travers le roman feel-good. Un genre taxé de féminin et léger. Serions-nous formatés dans nos choix de lecture ?

LA CONVERSATION

Mauvais genre ?

Il y a d’abord eu cet agacement de mon amie Nathalie Longevial, autrice à l’étroit dans les cases : « on parle de feel-good quand l’auteur est une femme, en revanche, quand c’est un homme, on appelle ça de la littérature contemporaine ! ». Quelques jours après, j’échangeais avec Camille Clerval sur son roman feel-good et le taux de testostérone de son prénom. Parler de littérature mauvais genre avec eux était trop tentant ! 

Alors que je suis glacée à Paris, j’appelle Nathalie à Bayonne.

Le mépris de genre sur les feel-good t’énerve alors parlons-en ! Surtout que tu ne te caches pas d’en écrire. Contrairement à d’autres auteurs. Ou plutôt autrices. Par exemple, il est indiqué sur la page Wikipedia de Melissa da Costa : « assimilée autrice Feel-Good, elle réfute cette étiquette » !

C’est le genre le plus vendu, mais il a une connotation méprisante. Aux éditions Eyrolles, mon roman, Les papillons sous oxygène, est classé dans la collection Pop Littérature. J’ai auto-édité le dernier, Rendez-vous à Heyo, et sur Amazon, je l’ai d’abord mis dans la catégorie « roman contemporain ». Quand je l’ai déplacé en « feel-good », il a grimpé dans les ventes et est passé N°1.

Un article de Livre Hebdo explique d’ailleurs que les éditeurs cherchent à redéfinir et trouver un autre petit nom au feel-good. C’est si gênant que ça ?

Dans l’imaginaire des gens, ça veut souvent dire qu’il n’y a pas de recherche littéraire, de style, de plume. On les considère comme des livres vite écrits. Personne ne se revendique feel-good ! On les définit comme des romans censés t’apprendre la résilience et te faire du bien. Mais n’est-ce pas le propre des livres de faire du bien, de nous faire grandir ? Moi, j’ai du mal à savoir ce qui différencie les feel-good de certains romans. Les contours du genre sont assez flous. Dans le feel-good, on retrouve des histoires d’amour, des problèmes de société, des trajectoires de résilience… dans d’autres genres littéraires aussi ![Nathalie m’avait signalé un podcast très intéressant sur France Culture avec une universitaire qui décrypte les codes du genre] Les personnages de feel-good sont plutôt des femmes. Même les auteurs, comme Bruno Combes, ne créent que des héroïnes. Dans mon roman, Les papillons sous oxygène, j’avais pris la voix d’un homme. J’ai eu des retours positifs, car les héros masculins sont rares. Moi, j’attends qu’un homme écrive un feel-good avec un héros !

D’autres choses nous fâchent, c’est un mépris de genre… mais pas seulement littéraire.

Dans les auteurs classés en feel-good, il y a une grosse proportion d’autrices. Cela dévalorise, une fois encore, les femmes. On rabaisse ainsi des écrivaines en disant que c’est de la littérature de gare, à l’eau de rose ou des livres mal écrits qu’on peut oublier dans le train. Mais, je suis peut-être trop vindicative ? 

Pas du tout. D’ailleurs, dans un article de 2020 sur le sexisme dans l’édition, Paule Constant, lauréate du Goncourt, évoquait George Sand et le fait que « les hommes n’aimaient pas voir leurs femmes glorifiées ou alors seulement lorsqu’elles écrivaient de la littérature ménagère, c’est ce qu’on retrouve aujourd’hui avec le feel-good. »

On garde ça de notre vieille histoire littéraire française. On ne va pas avoir un prix en plus ! [Private joke. Nous avions déjà discuté d’un article d’Actualitté sur les jurys des prix littéraires : une majorité d’hommes blancs, moyenne d’âge 63 ans]. Le vrai prix, c’est le vote du public. Quand le livre est acheté et plébiscité. Tu as vu, Melissa Da Costa et Virginie Grimaldi sont passées devant Guillaume Musso dans le classement des 10 écrivains les plus vendus en France ! C’est un espoir pour les écrivaines et représentatif de ce qui se passe de manière souterraine.

Avec ce top 10, la littérature de ménagère détrône la littérature couillue du polar ! Dans le polar, c’est le contraire, les femmes ont du mal à émerger. 

Je connais bien Cécile Cabanac qui a fondé Les Louves du polar, un collectif d’autrices de romans policiers. C’est très difficile pour elles de se faire une place. J’ai entendu des remarques qui étaient adressées à Cécile sur des salons. Une femme, ça ne peut pas écrire de choses sordides, des thrillers... Pendant une signature à la Fnac, où nous étions toutes les deux, certaines femmes m’achetaient un roman et prenaient un polar pour leur mari.

Quelques jours plus tard, j’ai rendez-vous avec Camille Clerval au Café Livres. J’ai déniché Camille et son livre, Les petits bonheurs de Caroline, en pistant le feel-good sur Instagram. J’avais passé du temps sur son profil : sous les images fleuries (ça fait fille ?), aucun post de Camille n’est genré dans sa formulation… Camille entretiendrait le doute sur son genre et son identité ? C’est ce que j’ai eu envie de savoir. Pour toute réponse nous avons parlé d’origami, de MMA, de l’importance de mettre une nappe à un dîner, du champion de Formule 1 Lewis Hamilton, de Charlotte Brontë, de Jack Kerouac, de body positive, de nouvelles masculinités et de biais sexistes !

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