Et si on chantait sous la pluie ?

Au programme : faire chanter une histoire, un livre avec des paillettes et un 🎁 (pour moi).

DéFormater !
6 min ⋅ 07/10/2025

Bonjour,
Halte à la grisaille ! C’est Mia qui le dit dans La La Land : « Un peu de folie est la clé pour nous donner de nouvelles couleurs à voir. Qui sait où cela nous mènera ? ». 
Je suis Valérie Van Oost, rédactrice et autrice, je pars, chaque mois, à la rencontre de ceux qui racontent et aiment les histoires. 
Bienvenue dans cette édition et aux nouveaux abonnés 🙏🏻.

LA CONVERSATION

Et si on chantait sous la pluie ?

Laurent Valière est le spécialiste français de la comédie musicale, animateur et producteur de 42e rue sur France Musique. Cela faisait longtemps que je voulais entrer avec ce passionné dans les coulisses des histoires qui se jouent, se chantent et se dansent. 

D’où vient ta passion pour les comédies musicales ?
Laurent Valière - Peut-être des disques que mes parents écoutaient :  des opérettes, comme L’auberge du cheval blancPhi Phi. J’ai vu avec eux les frères Jacques et ma grand-mère m’a emmené voir West Side Story au cinéma.
J’ai eu beaucoup d’expérience de concerts où je me suis ennuyé. Voir quelqu’un qui chante n’a pas d’intérêt pour moi. Il faut qu’il y ait une histoire. J’aime qu’on me raconte une histoire.

En France, on a plus une culture d’opérette que de Musicals ?
Laurent Valière - La comédie musicale est un art typiquement américain. On a eu Offenbach. Aux États-Unis, il y a eu Oscar Hammerstein. Il est très important dans l’histoire de la comédie musicale. Avant de créer La mélodie du bonheur, il adapte en 1927 Show Boat un roman fleuve à la Autant en emporte le vent. On y suit une troupe de théâtre le long du Mississippi et à chaque escale, on découvre les coulisses à travers des chants et des danses, on traverse 50 ans de l’histoire des États-Unis, on parle de l’esclavage, de violence conjugale, de racisme.
En France, les comédies musicales ont souvent mauvaise presse. D’ailleurs, si tu regardes les affiches, il est rarement indiqué « comédie musicale », on va plutôt annoncer « spectacle musical » ou « théâtre musical ». Et puis, on en parle de manière cyclique. C’est le marronnier de Noël, on m’en parle souvent avant les fêtes ! Il y a un public de fans et d’amateurs, l’enjeu est de le faire grandir, comme ça a été le cas avec Notre-Dame de Paris.

Ici, on n’attend pas Noël… Pourtant, il y a beaucoup de comédies musicales à l’affiche ? Il y a un nouvel élan ?
Laurent Valière - On n’a jamais vu autant de comédies musicales à l’affiche qu’en cette rentrée. Il y en a 18, me semble-t-il. C’est un test pour tout le monde. On va voir si ça passe ou ça casse. 
En 1998, Notre-Dame de Paris avait été un succès phénoménal et tous les producteurs de la place de Paris se sont mis à produire des comédies musicales : Les Dix CommandementsLe Roi Soleil… Pourtant, avant de présenter sur scène Notre-Dame de Paris, Luc Plamondon ou Richard Cocciante avaient trouvé porte close lorsqu’ils présentaient leur projet à des producteurs. Aucun n’y croyait, sauf Charles Talar, qui a eu du nez. Ça s’est passé après une audition où Richard Cocciante lui a joué au piano l’ensemble des chansons. Il a pensé qu’il allait pouvoir vendre des disques, mais pas, à ce point, remplir le palais des congrès !  
Le système n’est pas le même en France que dans les pays anglo-saxons. En France, ce sont d’abord les maisons de disques qui sont derrière les gros succès de comédies musicales. Pendant longtemps, on écrivait d’abord les chansons pour passer à la radio, vendre des disques et enfin amener les gens à voir le spectacle. 

On ne produit pas les mêmes comédies musicales en France ?

Laurent Valière - La logique n’est pas du tout la même. À New York, une comédie musicale peut être à l’affiche depuis des décennies. Le Roi Lion se joue à Broadway depuis 2000. À Mogador, c’est sa 5ᵉ année. Le modèle économique de la comédie musicale, c’est : plus longtemps on reste à l’affiche, plus c’est rentable. Ce n’est pas du tout dans la culture française de rester aussi longtemps à l’affiche. Le problème est aussi que nous n’avons pas de producteurs.
C’est un spectacle qui coûte très cher à produire. Il faut une bonne sonorisation, parce que le but est d’en avoir plein les oreilles. C’est difficile pour les petits théâtres. 
En même temps, on peut faire des choses très bien. Au théâtre de la Huchette, le directeur est passionné de comédie musicale. Il y a présenté des petites comédies musicales inspirées de grands classiques de la littérature. C’est un petit théâtre de 80 places, il arrive à faire des choses extraordinaires avec trois comédiens sur scène. 

La narration est différente aussi ?
Laurent Valière - Au départ c’est du théâtre. C’est-à-dire que c’est une histoire, il faut qu’il se passe quelque chose qu’on a envie de suivre, qu’on soit ému.
En France, on a une culture de l’opéra rock, comme Starmania, avec peu de dialogues. La comédie musicale américaine, c’est du théâtre et puis, tout à coup, on se met à chanter et à danser. Il y a un vrai travail sur le livret. En France, c’est longtemps resté du divertissement.

Un manque de fond ?
Laurent Valière - Ce qui est important, c’est la narration. Quand on regarde West Side Story, c’est incroyable, Leonard Bernstein raconte quelque chose de puissant. Plus récemment, Gypsy, avec Nathalie Dessay, est une pièce avec beaucoup de fond. Les Américains ont résolu le problème en adaptant de grands classiques du cinéma. 
En France, on est moins dans le théâtre. Les livrets sont souvent assez simples. Ce n’est pas un point sur lequel on fournit un effort. 
Aux États-Unis, on considère que la comédie musicale est un art collaboratif. Il faut que tout fonctionne. Si un élément ne fonctionne pas — si l’histoire est cruche, si la chanson est moche ou si la chorégraphie est nulle —, tout tombe.

On a, peut-être aussi, une image d’histoires trop sucrées ?
Laurent Valière - Quand Damien Chazelle a réalisé La La Land, qui est un drame, il a dit qu’il s’être inspiré des Parapluies de Cherbourg. Il avait découvert, avec ce film, que la comédie musicale n’était pas seulement sucrée, voire niaise. Christophe Honoré, lorsqu’il réalise un film comme Les chansons d’amour, s’inspire aussi largement de Jacques Demy.
Aujourd’hui, il y a de très belles histoires, comme Panique à bord ou encore 31 de Stéphane Laporte. On voit davantage de jeunes auteurs en France aujourd’hui. Il y a aussi beaucoup de spectacles musicaux formidables pour les enfants, comme Jules Verne ou Mark Twain.

C’est cette alchimie entre trois éléments, trois arts, qui fait la réussite d’une comédie musicale ?
Laurent Valière - C’est une mayonnaise qui doit prendre. Il faut trouver un équilibre entre les trois. Ce qui compte le plus c’est le rythme. Aux États-Unis, il est rare qu’une comédie musicale arrive de but en blanc à Broadway. D’abord, elle se rode dans des villes, loin de New York et de la critique. Pendant cette période, ils passent leur temps à refaire le spectacle. Stephen Sondheim dit que la plus belle chanson du monde, si elle ne sert pas la narration, il faut la jeter. Il raconte aussi qu’il rêve de composer en direct, pendant que la comédie musicale se joue sur scène. Il a d’ailleurs déjà composé des chansons pour un personnage parce qu’il lui manquait un air. Il y a plein d’histoires folles de compositions dans un hôtel, en une nuit, pendant les semaines de rodage, parce qu’on se rend compte qu’un personnage a besoin d’une chanson. La musique soutient la narration.

En France, c’est très pop ?
Laurent Valière - C’est surtout de la pop. Dans mon émission, j’essaie de faire venir tous les styles. La haine utilise du rap. On peut raconter avec tous les genres de musique.

C’est une combinaison qui s’expérimente, la notion de spectacle vivant prend toute sa dimension…
Laurent Valière - Garou, dans un documentaire que je suis en train de tourner, dit que les Américains ne savent pas chanter et que les Français ne savent pas jouer. 
Il est difficile de savoir jouer, chanter et danser. En France, on était plus léger sur le jeu d’acteur et la danse. Je vois émerger une génération qui sait tout faire. À Mogador, ils ont eu l’audace et l’intelligence de créer une formation avec le cours Florent, la classe libre du cours Florent. Chaque année, il en sort 10 personnes, il y a toujours des pépites. C’est très vertueux et cela nourrit justement toutes ces comédies musicales qui fleurissent en cette rentrée. J’espère qu’il y aura du boulot  pour tous ces jeunes artistes !


Vous vous voulez encore monter le son ? Retrouvez le N° sur la musique de film


© Christophe Abramowitz

Laurent en quelques mots et suggestions…

Spécialiste de la comédie musicale, Laurent Valière est journaliste et producteur. Il anime l’émission 42e rue sur France Musique.

Son actualité est chargée !

La Story des Demoiselles de Rochefort en podcast le 9 octobre.

Enregistrement en direct de 42e rue au Théâtre du Lido avec la troupe des Demoiselles de Rochefort en concert exclusif, le 12 octobre à midi.

Nouvelle édition augmentée de 42e rue, la grande histoire des comédies musicales (Marabout) le 5 novembre en librairie.

42e rue fait son show, 8e édition de la grande soirée de la comédie musicale en direct du Studio 104 de Radio France, le 8 décembre.

L'histoire secrète des comédies musicales, mi-décembre sur M6.

Ses suggestions ?

Cher Evan Hansen (Théâtre de la Madeleine), La Petite boutique des horreurs (Théâtre de la porte Saint Martin), Les Demoiselles de Rochefort (au Lido) et, à partir du 5 décembre, La Cage aux folles (Théâtre du Châtelet).

ET AUSSI…

Ladies and gentlemen…

Petite salle de la nuit bruxelloise, le Cabaret Mademoiselle à ouvert ses portes et ses backstages au photographe Eric Espinosa. Résultat: Glitter & Grit, un livre sublime sur un art de l’extravagance.

« L’art du cabaret est par nature subversif, indépendant et hors des cases. Il dérange, il bouscule, il questionne les normes et la société. Et c’est exactement pour ça qu’il est indispensable. », La Veuve (Cabaret Mademoiselle). 

Glitter & Grit, éd. Hemeria, en librairie début 2026. Les premières images et crowdfunding à découvrir ici.

Un petit 🎁 pour moi ?

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C’est cadeau…

À mon sens, la musique renforce, aussi bien dans la joie que dans le drame, les sentiments.” Jacques Demy


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Par Valérie Van Oost

Je ne peux pas m’empêcher de faire des interviews (j’ai un passif de journaliste). Je suis fascinée par les inventeurs d’histoires, les créateurs de récits (sous toutes les formes surtout celles que je ne sais pas fabriquer). Je sais à quel point ce travail est exaltant et difficile (moment d’ego et d’auto-congratulation : j’écris aussi des romans). 

Bref, j’ai envie, avec cette newsletter, de partir à la rencontre des artisans de la narration et de partager nos conversations. 

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