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Par Valérie Van Oost
1 oct. · 5 mn à lire
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Un fait divers pour deux fictions

Au programme : quand une affaire criminelle inspire deux héroïnes de fiction…

Bonjour,

Bienvenue dans une édition où imaginaire et réalité s’entremêlent. C’est l’histoire d’une affaire criminelle qui a inspiré deux fictions complètement différentes. Un film et un roman qui sortent à quelques semaines d’intervalle. Leur sortie percute l’actualité : le procès de l’affaire s’ouvre aux assises le 6 mai. Conversation autour de la création de deux héroïnes de fiction avec un lien de parenté.

LA CONVERSATION

Un fait divers, deux fictions 

L’imagination de Stéphane Demoustier, comme la mienne, s’est emballée à la lecture d’un article du Monde : En Corse, la double vie de Cathy la « matonne », signé Ariane Chemin et Antoine Albertini. Deux fictions totalement différentes en sont nées. Hasard du calendrier, le film de Stéphane, Borgo, est sorti en salle le 17 avril et mon roman, Un ciel bleu comme une chaîne sort en librairie. J’ai eu envie d’échanger sur le processus créatif qui a embarqué chacun de nous loin des mêmes lignes de départ.

Nous avons échafaudé des fictions très éloignées l’une de l’autre à partir du portrait de cette surveillante de la prison de Borgo, en Corse, fascinée par l’univers du banditisme et par la série Mafiosa, et aujourd’hui accusée de complicité dans un double homicide. 

Je me suis attaché à m’éloigner le plus possible du fait divers, à l’oublier même. Mon rapport à Cathy Sénéchal et à l’affaire s’arrête à la lecture de l’article d’Ariane Chemin. En m’appropriant cette histoire et ce contexte, la machine à fiction s’est mise en route. J’essaie de les comprendre, mais pas en enquêtant sur Cathy Sénéchal. Je me suis demandé, à la lecture de cet article, et c’est ce que j’ai voulu raconter, comment, en quelques mois, on peut passer d’une vie ordinaire à complice du grand banditisme. L’article m’a servi d’étincelle, il a créé un désir de fiction avec, en toute modestie, deux ambitions : raconter le monde dans lequel on vit et sonder l’espèce humaine. C’est la raison pour laquelle, je ramène les choses à moi, je me demande comment j’aurais réagi, sans jamais regarder les personnages de haut ou de loin.

Vous aviez déjà envie de travailler sur la Corse qui est au cœur de votre film. Moi, je ne le souhaitais pas, parce que c’est un sujet en soi et seul le personnage m’intéressait. J’ai d’ailleurs changé le décor en plaçant l’action dans la région d’Aix-en-Provence et à la prison de Luynes. De votre côté, j’ai l’impression que l’héroïne du fait divers vous a donné un moyen d’infiltrer la Corse.

J’avais depuis longtemps l’envie de faire un film en Corse, mais il fallait que je trouve l’histoire qui s’y prête. C’est vrai qu’elle est mon cheval de Troie. Elle est continentale, elle débarque en Corse. Moi, je débarque avec elle sur un territoire auquel je ne comprends rien. Le fait qu’elle n’en comprenne pas la culture, la langue, les us et coutumes est intéressant. Cela explique qu’elle soit déphasée, qu’elle puisse parfois se tromper et être dans un certain flou. C’est de cela que j’ai voulu jouer. L’histoire d’une étrangère qui arrive dans un pays qui n’est pas le sien et essaie de trouver sa place. En arrivant dans un territoire avec une culture et un caractère aussi fort que la Corse, ce sentiment d’être étrangère est encore plus fort [Melissa, l’héroïne de Borgo, est Française d’origine maghrébine]. 

La prison de Borgo est dans votre film un personnage à part entière. Un personnage qui d’ailleurs avale Melissa.

La Corse a un régime spécial et cette prison bénéficie d’un régime particulier dans l’univers carcéral français. C’est un personnage en soi parce que c’est un lieu où on est cloitré, de la même manière que, sur une île, on est enfermé. Paradoxalement, cette prison, dans le film, est l’endroit où elle va, à un moment, se sentir le mieux. Je n’ai pas enquêté sur le fait divers, en revanche, j’ai recueilli des témoignages sur les phénomènes de manipulation et la manière dont fonctionne cette prison qui est passionnante avec son régime ouvert. Cela a donné une matière hyper intéressante.

La notion d’enfermement est un point commun de nos fictions. Il y a l’univers carcéral bien sûr, mais nos héroïnes se sentent recluses dans une situation d’étrangère, dans un milieu social, dans les affaires dans lesquelles elles sont empêtrées, à la place qui leur est assignée, à l’étroit dans leur couple…

Melissa est aussi enfermée parce qu’elle est sous emprise, dans un rapport de domination. Cela m’intéressait de raconter l’histoire de l’emprise d’une femme dans un monde d’hommes. 

En même temps, Melissa dans votre film, ou Kathy dans mon roman, sont des surveillantes de prison, des femmes fortes. 

Melissa a du caractère, elle arrive à tenir les détenus en respect. Elle est aussi vulnérable, parce qu’elle est une femme dans un milieu d’hommes, parce que son couple ne va pas bien et leurs projets sont fragiles. Parce qu’on est tous vulnérables quand on débarque dans un univers qu’on ne connaît pas, très viriliste ici, avec une autre langue, quand on vit dans des conditions hyper modestes ou quand on a une profession déconsidérée. Elle est un mélange de vulnérabilité et de grande force. Elle porte le projet familial, professionnel, elle fait face aux détenus avec compétence. C’est cette complexité-là qui m’intéressait.

Le glissement et la complexité du personnage m’ont fascinée également. J’ai su, en mettant de côté cet article en 2019, que j’en ferai quelque chose. Et vous ?

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